Dictature en marche

« La précondition d’une dictature n’est pas que toute l’opposition soit en prison mais que les organes de contre-pouvoir soient supprimés ». Voilà très exactement le projet d’Emmanuel Macron. À défaut de s’attaquer aux vraies questions que, comme un certain nombre de ses prédécesseurs, il préfère ignorer, le président de la République utilise les outils de la démagogie pour concentrer encore davantage son pouvoir, en même temps qu’il use d’une arme infiniment plus subtile qu’une vulgaire réforme du mode de scrutin, pour continuer à se garantir un parlement à sa botte.

La démagogie. Par volonté évidente d’éradiquer tout contre-pouvoir, on a ancré dans la population l’idée que les députés, et a fortiori les sénateurs, étaient des fainéants et des inutiles. On a aussi fait croire qu’il y avait inflation de parlementaires. Comme dirait l’autre, une fake news grossière : il y a, actuellement, 709 députés en Allemagne, où il ne peut jamais y en avoir moins de 598, mais aussi 650 au Royaume-Uni, 630 en Italie, deux pays moins peuplés. Sans oublier les 460 députés polonais ou les 350 espagnols de pays de moins de 40 millions d’habitants, ou même les 199 de la petite Hongrie de moins de 10 millions d’habitants où l’opposition s’excite beaucoup ces temps derniers dans les media… français.

En prétendant réaliser des économies par la réduction du nombre de parlementaires, Macron reste fidèle à sa méthode : « Je prends les Français pour des crétins. De toute façon, ils en redemandent ». Parce que les économies, Nicolas Sarkozy en avait réalisé. C’était sa réforme du conseiller territorial qui supprimait la bagatelle de 2 500 élus locaux dès les régionales et les cantonales de 2015. Aussitôt arrivé au pouvoir, Hollande a abrogé ce texte et augmenté à nouveau le nombre d’élus locaux.

Pourtant, ce sont bien les collectivités locales et le millefeuille administratif qui ruinent le contribuable et paralysent le pays. Mais ça, pas question d’y toucher avec un argument tout aussi démagogique : on y a trop touché dans le passé. Effectivement, on a inventé cette intoxication effroyable des grandes régions. Il y a toujours autant d’élus locaux, les régions n’ont plus aucun sens et, surtout, les anciennes capitales régionales dégradées, conservent bâtiments et fonctionnaires.

Cependant, quitte à vouloir faire des économies, pourquoi ne plafonne-t-on pas le nombre de ministères ? La question ne sera pas posée parce qu’elle est l’explication de la gigantesque manipulation macronienne pour repousser encore davantage les limites de son pouvoir.

Le projet macronien consiste à transformer l’essai de la réforme scélérate de 2000, consécutive à l’instauration du quinquennat. Celle-ci s’est accompagnée de l’organisation des élections législatives six semaines après la présidentielle. La conséquence dont aucun responsable politique ne veut parler en est que la France est devenue le seul pays prétendument démocratique à ne plus avoir, de facto, d’élections législatives. Celles-ci consistent désormais à faire désigner par le président élu un parlement exclusivement à sa botte. Si une réforme doit être faite, c’est celle-ci : rétablir de vraies élections législatives. Un seul responsable politique de haut niveau s’en était préoccupé. Il était probablement plus intègre et plus soucieux de contre-pouvoirs que les autres. Il s’appelle Lionel Jospin et avait proposé, dans son programme de 2002, de réduire le mandat parlementaire à quatre ans pour rétablir l’architecture originelle de la Ve République dont l’article 20, « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » n’était pas qu’une figure de style.

La réduction du nombre de parlementaires est une manipulation subtile et diabolique. Subtile par intoxication du peuple qui croit y trouver un avantage ; et diabolique parce que le parlement, déjà réduit à pas grand-chose, sera mécaniquement encore plus favorable à Macron. Il le sera encore plus en prenant en compte ce hochet de 15 % de proportionnelle qui n’a évidemment pas pour but de représenter tout le monde. 15 % de proportionnelle après réduction de 30 % du nombre des députés, ça signifie 60 députés élus à la proportionnelle. Si on avait appliqué ce système aux législatives de 2017, le Front national qui avait réalisé un peu plus de 13 % des suffrages exprimés au premier tour, aurait donc obtenu huit ou neuf députés selon le seuil retenu. Il en a eu huit. Si l’on prend la France Insoumise, qui a obtenu 11 %, il en aurait obtenu sept ou huit. Il en a dix-sept. Se foutre du monde signifie quelque chose, mais là… c’est du championnat du monde toutes catégories.

En revanche, 340 députés élus en circonscriptions au lieu de 577, la surface de chacune d’entre elles va quasiment doubler. Il n’y aura plus que deux députés en Dordogne, par exemple, dont un sur une circonscription de plus de 6 000 km2. Un peu comme s’il n’y avait en tout pour tout que cinq députés pour tout le parlement belge. De toute façon, c’est l’objectif poursuivi par Macron qui ne veut pas de députés de la France rurale. Elle ne vote pas pour lui. À Paris où il a récolté 90 % des voix au second tour de la présidentielle, il n’y aura plus que douze ou treize députés au lieu de dix-huit mais tous béni-oui-oui macroniens…

On ne saurait mieux mépriser la France périphérique. Cette loi éloignera encore davantage les Français de leurs députés. Ils les trouveront donc encore plus fainéants et inutiles et ils voteront de moins en moins. Macron compte se faire réélire en 2022 face à des oppositions inexistantes. Il désignera ses députés à sa botte comme il l’a fait l’année dernière. En 2017, il l’avait fait avec le taux d’abstention record de 58 %. En 2022, il compte bien dégoûter deux bons tiers de Français d’aller voter.

« La précondition d’une dictature n’est pas que toute l’opposition soit en prison mais que les organes de contre-pouvoir soient supprimés ». Cette sentence n’aurait jamais été publiée dans un quotidien français si elle s’était adressée à Macron. Elle n’est parue que parce qu’elle a été proférée par le dernier Premier ministre socialiste de Hongrie, Ferenc Gyurcsani, visant l’actuel Premier ministre Viktor Orban. Mais si la presse française s’intéresse tant à la Hongrie, ce n’est pas seulement parce qu’elle reproche à ce pays de traiter les vrais problèmes, invasion migratoire, islamisation, changement de peuple. C’est aussi parce qu’elle est largement dans l’épure indiquée par Gyurcsani : pas davantage que le parlement, elle n’est un organe de contre-pouvoir.

 

Tarik DALI

Membre du Comité Directeur